LouisJousserandot

Louis Jousserandot (1813-1887)

Louis-Étienne Jousserandot naît à Lons-le-Saunier le 11 mai 1813. Son père, élève de Bichat, est médecin chef de l’hospice de la ville.
Il étudie le droit à Dijon, devient avocat en 1838 et s’inscrit au barreau de Besançon. Dix ans plus tard, ce républicain convaincu se présente aux élections d’avril 1848 à Lons-le-Saunier ; il n’est pas élu député. Jousserandot entre dans le comité de rédaction de La Tribune de l’Est, un journal lédonien. Là, de juillet à décembre 1851, il pourfend les ennemis de la République et dénonce une guerre civile menaçante. C’est pourquoi il est proscrit après le Coup d’État du 2 décembre de la même année.
Il se retire d’abord en Savoie puis en Suisse. L’exilé politique devient professeur de droit à Lausanne puis à Genève (1867-1870). Durant cette période, il publie notamment De la civilisation moderne (1866).
Après la proclamation de la République (septembre 1871), il rentre en France. Jousserandot est successivement nommé préfet des Pyrénées-Orientales (septembre 1870) et de la Marne (novembre 1871). Ces affectations suscitent l’indignation déplacée du littérateur Xavier Marmier (1809-1892), son compatriote conservateur :
« C’est une honte que l’on voie encore des préfets comme Jousserandot, ce vieux buveur de bock, marié avec la plus ignoble catin ».
L’administrateur lédonien est révoqué à la chute de Thiers (mai 1873) avec lequel il entretient ensuite une correspondance (juillet 1873-août 1877), partiellement éditée.
Jousserandot retourne alors enseigner le droit à Genève. Il rédige des articles pour le journal Le Temps et publie, entre autres, Du pouvoir judiciaire et de son organisation en France (1878) et L’Édit perpétuel restitué et commenté (1883). Il décède dans cette ville le 26 avril 1887.

Un artiste comtois à Paris

Avant son engagement politique (1848), Jousserandot appartient à cette bourgeoisie lédonienne bien de son temps. Dans ce milieu souvent cultivé, on se délecte de poésie romantique et on se rue au nouveau théâtre. Le jeune avocat s’intéresse donc tout autant au dessin qu’à la poésie, au théâtre qu’au roman.
On connaît de lui au moins deux dessins intéressant Lons-le-Saunier : le premier représente le Calvaire de la mission, le deuxième la place de la Liberté. Ceux-ci évoquent de façon pittoresque la ville préfecture sous la monarchie de Juillet (1830-1848).

Il étudie également l’histoire régionale et se documente auprès de compatriotes érudits. Les matériaux réunis lui permettent de publier deux romans historiques ayant pour cadre les guerres de conquête du xviie siècle et mettant en scène l’un des héros de l’indépendance comtoise, Jean-Claude Prost dit Lacuson. Le Diamant de la Vouivre (1843) et Le Capitaine Lacuzon (1844) sont tous deux édités à Paris en deux tomes.
C’est encore à Paris qu’en mars 1843, sous le pseudonyme de « Louis de Lons », il joue le rôle principal dans la comédie-vaudeville Diavoletta donnée aux Délassements comiques, un théâtre des boulevards parisiens. Un autre avocat et poète lédonien assistant à la première, Désiré Deleschaux, témoigne :
« Un bataillon serré d’artistes et de francs-comtois donnait à chaque scène, à chaque couplet, des marques bruyantes d’approbation ».

Le succès de ses romans et de ses pièces lui permet de créer une nouvelle comédie à Paris intitulée Les collaborateurs. La première représentation a lieu au Théâtre du Vaudeville le 2 mars 1847. Le texte met en scène un célèbre écrivain, Florensac, dont l’inspiration s’est tarie. Celui-ci s’adjoint alors des « collaborateurs » qui pour quelque argent profitent de la notoriété de l’auteur. La pièce en un acte et en vers nous fait assister à une sorte de rébellion des exploités contre leur exploiteur. Quiproquos, coups montés, sont les ficelles classiques de ce petit vaudeville.
Le thème de cette comédie, éditée et jouée à Paris à la veille de sa carrière politique, était prémonitoire...
Ainsi que l’écrit Jousserandot en 1862, ses deux romans « dormaient, paisiblement sous la poussière qui les recouvrait depuis 20 ans ». Et il poursuit : « Je ne m’en plaignais pas. Ce sont des crimes de jeunesse commis au préjudice du public à un âge où l’on n’a ni expérience ni savoir. Je ne songeais donc pas à les rééditer, tels qu’ils sont du moins ».

Mais coup de théâtre cette année-là : le 7 décembre 1862, les Jurassiens découvrent dans La Sentinelle du Jura une lettre adressée le 15 novembre par l’exilé d’Évian à un autre comtois installé à Paris, le célèbre feuilletoniste Xavier Perrin de Montépin (1823-1902) :

« Monsieur, il y a quelques années, vous m’avez écrit pour m’annoncer que vous aviez l’intention d’écrire un livre sur la lutte de la Franche-Comté contre la France au 17e siècle et de prendre pour sujet l’histoire du capitaine Lacuzon. Comme j’avais moi-même écrit en 1843 la vie du héros franc-comtois dans deux ouvrages intitulés l’un « le diamant de la Vouivre », l’autre « le Capitaine Lacuzon », vous me demandiez dans votre lettre l’autorisation de me faire quelques emprunts et je vous répondis que j’y consentais volontiers. Depuis lors, n’ayant plus entendu parler de cette affaire, je pensais que vous aviez renoncé à votre projet, lorsque ces jours derniers un roman intitulé « le médecin des Pauvres »… m’est tombé sous les yeux. Je lis, et, jugez de ma surprise, quand dès le début je m’aperçois que je lis « le Diamant de la Vouivre » ! D’abord je crus rêver, je me crus le jouet d’une illusion, d’un mirage, que sais-je ? Hélas ! Il fallut bien me rendre à l’évidence. Le « Médecin des pauvres » n’est autre chose que le « Diamant de la Vouivre », drame pour drame, scène pour scène, caractère pour caractère, etc. etc. En vérité, est-il possible qu’un homme ait osé semblable chose ! UNE EDITION SOUS SON NOM DE L’ŒUVRE D’UN AUTRE ! Vous m’aviez demandé l’autorisation de me faire quelques emprunts et vous m’avez tout pris, tout, tout ! Je ne sais si vous avez retranché quelques phrases, mais vous en avez ajouté quelques-unes. Puis vous avez mis en action, sous forme de prologue, le récit fait par l’oncle du capitaine à son neveu dans la prison de St Claude ; vous avez encore changé quelques noms : dans l’édition Montépin, ma Pâquerette se nomme Églantine, ma vieille Pierrette, Magui ; puis vous avez supprimé le fantastique en supprimant la Vouivre. A part ces misères, le drame du « Diamant de la Vouivre » se déroule dans le « Médecin des pauvres » tel que je l’ai conçu, tel que je l’ai écrit, avec les mêmes incidents. Vous daignez me citer, il est vrai, au commencement et à la fin, à propos de je ne sais quels détails ; c’est pousser trop loin l’ironie. Ah ! vous avez trouvé, Monsieur, une méthode facile pour publier sans grand peine des ouvrages. Vous écrivez à un auteur pour être autorisé à lui faire quelques emprunts et vous le dépouillez à ce point que vous faites sous votre nom une nouvelle édition de ses œuvres !… J’aurais peut-être dédaigné de me plaindre, puisque le fait est consommé, mais à la fin du « Médecin des pauvres », je veux dire de votre édition du « Diamant de la Vouivre », vous annoncez la prochaine publication d’un nouvel ouvrage, toujours sur la vie du héros de l’indépendance franc-comtoise, dans lequel la vallée de la France (sic) jouera un grand rôle. Ah ça ! Oseriez-vous bien encore rééditer, sous votre nom, mon « Capitaine Lacuzon » ? Vous en êtes bien capable ! ». Jousserandot interdit donc à Montépin de lui « emprunter quoi que ce soit ». Et il ajoute : « Si je veux bien passer condamnation pour ce qui est accompli, je poursuivrai désormais énergiquement toute contrefaçon de mes livres. Car ce que vous avez fait n’est pas même un plagiat, c’est une vulgaire contrefaçon. Pour être plagiaire, on n’est pas nécessairement copiste ; or c’est une copie qui est sortie des presses de votre imprimeur. Ah, Monsieur, quel triste métier vous faîtes là ! »

En fait, Jousserandot vient de découvrir Le médecin des pauvres dans Les veillées parisiennes, un journal illustré de la capitale. En outre, le feuilleton (janvier 1861-mai 1861) fait l’objet d’éloges : « le médecin des pauvres touche à sa fin, et son immense succès a réalisé toutes les espérances que nous avaient fait concevoir le nom célèbre de l’auteur et l’incontestable mérite de l’œuvre ».

En dépit de l’avertissement, Montépin n’en reste pas là : de feuilleton, Le médecin des pauvres devient roman ! L’affaire est portée devant la 7e chambre correctionnelle de la Seine où elle se plaide le 17 janvier 1863. D’une part, Montépin poursuit Jousserandot et de Villemessant pour diffamation par suite de la publication de la lettre précitée dans Le Figaro l’accusant de plagiat. D’autre part, Jousserandot poursuit Montépin en contrefaçon littéraire. Le 23 janvier, le tribunal reconnaît que les emprunts de Montépin ont été « excessifs » et qu’un « sentiment de délicatesse aurait dû en modérer l’étendue ». Mais dans le même temps, les deux parties sont renvoyées dos à dos et condamnées aux dépens…

En 1863, des juges dévoués à « l’Empire libéral » ont dépouillé un avocat républicain en exil au profit d’un feuilletoniste conservateur en vue. Depuis, Le Médecin des pauvres, roman sentimental au style relâché, a incontestablement fait sombrer dans l’oubli Le Diamant de la Vouivre, texte viscéralement romantique et régional.